Jean-Pierre Ferrière, bientôt 50 ans

 

Valeur confirmée du roman policier français, Jean-Pierre Ferrière vient de publier deux titres en 2005 : "Des relations de plage" (H.& O) et "Haine, ma sœur haine…" (Noir Délire). Voilà près d'un demi-siècle qu'il écrit. Retour sur une remarquable carrière.


Claude Le Nocher : Vous avez aujourd'hui 50 ans (de carrière). Dans quelles circonstances Frédéric Ditis vous proposa-t-il d'écrire pour sa collection "La Chouette" ?
Jean-Pierre Ferrière : J'ai effectué mon service militaire au Maroc, à Rabat et à Casablanca. Des relations de mes parents qui travaillaient à Radio-Maroc m'ont suggéré d'écrire des pièces, qui ont été acceptées et diffusées - ce qui a beaucoup impressionné mes camarades de chambrée et mes supérieurs ! Pour moi, ce n'était qu'un jeu. Libéré et rentré à Paris sans un sou, j'ai cherché du travail. Grâce à une annonce publiée par le Figaro (dans un roman on n'y croirait pas) je suis devenu le secrétaire de Brigitte Bardot, qui était déjà une star. Moi qui ne pensais qu'au cinéma (mon rêve : être assistant, puis réalisateur) j'ai tenté de me rapprocher du très sympathique Roger Vadim… au moment même où celui-ci se séparait de sa glorieuse épouse. Déception ! Pendant ce temps, l'une de mes amies qui connaissait Frédéric Ditis (lequel était à la recherche de jeunes auteurs pour sa maison d'édition) lui a, sans me le dire, fait lire mes textes de radio. Accroché, Ditis m'a convoqué, et très vite proposé un contrat. Perplexe et moyennement motivé, je me suis lancé… tout en abandonnant Brigitte Bardot ! Le manuscrit terminé, je l'ai remis à Ditis. Sa réaction a été plus que mitigée : " Je ne m'attendais pas du tout à ça ! " Ce à quoi j'ai répondu, très décontracté car persuadé que ce roman serait à la fois mon premier et mon dernier : "C'est ÇA ou rien !" Ditis a soupiré et s'est résigné à le publier, avec une formidable couverture signée Gianni Benvenuti. C'était " Cadavres en soldes ". Résultat des ventes : 50 000 exemplaires en quelques semaines, et de nombreuses lettres de lecteurs réclamant la suite des aventures des sœurs Bodin, mes deux héroïnes. Stupéfait mais beau joueur, Ditis m'a pressé de lui donner un second " Bodin ", puis un troisième, puis un quatrième… Au septième, j'ai réclamé le droit d'écrire autre chose ; ce qui, bien sûr, m'a été accordé.

 

 

 

Ditis et vous semblez être resté amis puisque, au début des années 1980, vous avez été publié chez " J'ai Lu " ?
J.-P. F. : Amis et complices, puisque Ditis a publié chez J'ai Lu, qu'il dirigeait, mes Grands Romans parus au Fleuve Noir, puis des inédits. Je peux dire qu'il a été mon père spirituel, et que je lui dois ma carrière. Quand il a quitté J'ai Lu pour Le Livre de Poche, il m'a emmené dans ses bagages… où je n'avais peut-être pas ma place ! Heureusement " Bronzage intégral " est sorti au début de l'été, et fut un succès. Mon second roman, " Une femme sans histoire ", a été acheté par la télévision dès sa parution. Ce qui a momentanément muselé mes " opposants ", car j'en avais.
Entre temps, vous avez appartenu au " Fleuve Noir Spécial-Police ". Quels furent vos rapports avec cet éditeur, vous qui étiez un auteur déjà confirmé ?
Jean-Pierre Ferrière : J'ai publié une trentaine de livres au Fleuve Noir dans une ambiance formidable : on me fichait une paix royale ! J'écrivais ce que je voulais, sans censure, sans conseils, sans ordres. Comme, à cette époque, j'étais très sauvage, je ne voyais presque personne, et cela me convenait parfaitement. Mais je garde un très bon souvenir de Patrick Siry et Jean-Marie Carpentier.

A part les sœurs Bodin (7 titres), Evangéline Saint-Léger (4 titres), et des héros apparaissant dans deux aventures, vous n'avez pas souhaité créer un personnage pour une longue série ?
J.-P. F. : Non, je n'ai jamais eu envie de me lancer dans d'autres séries. En revanche, j'aime faire revivre des personnages que j'ai déjà utilisés. Comme Florence Farnèse, star de théâtre et de cinéma, la soixantaine champagnisée, renaissant sans cesse de ses cendres, et ne vieillissant jamais. Elle a, selon les histoires, l'un des rôles principaux, ou doit se contenter d'une " participation ".

La ville (inventée) de Châtignes sert de décor à plusieurs de vos romans. Il s'agirait de votre ville natale, Châteaudun ? Elle a dû évoluer, non ?
J.-P. F. : Châtignes est, bien entendu, un Châteaudun en réduction. Mais un Châteaudun vu avec mes yeux d'enfant ou de collégien. J'ai toujours l'impression qu'il y pleuvait tout le temps (ce qui est évidemment faux) ; et que les commères et les curieux y étaient nombreux (ce qui est évidemment vrai). J'habitais face au Mail, promenade plantée de gros marronniers ; un endroit propice au rêve et au mystère. C'est depuis longtemps un parking… que je n'ai jamais vu, et que je ne veux pas voir !

 


La plupart de vos romans ont pour héroïnes des femmes. Éternel source d'inspiration ?

J.-P. F. : Absolument. Les titres des livres sont éloquents : " La femme en néon ", " Une femme comme les autres ", "Une femme sans histoire ", " La femme en ombres chinoises ", " Les sangsues ", " Les monstresses "… Je trouve qu'une femme qui ment, c'est déjà un roman. Mais un homme, non ! Allez savoir pourquoi…

Vous avez été un des premiers auteurs français à introduire des personnages homos ou ambigus dans vos romans ?
J.-P. F. : Il est exact, je crois, que j'ai été l'un des premiers à faire d'un jeune homme ouvertement gay le héros d'un roman en 1964, avec " Un diable sur mesure ". Merci au Fleuve Noir, qui n'a pas tiqué… et à Germaine Beaumont, qui m'a fait une très bonne critique dans Les Nouvelles Littéraires. Elle m'a commandé une version radio du livre, pour son émission Les Maîtres du Mystère, à laquelle j'ai collaboré pendant une douzaine d'années. Bien sûr, il n'y avait pas de scènes choquantes. Mais toute l'intrigue reposait sur le fait que le jeune meneur de jeu était homosexuel, et ne s'en cachait pas. J'ai d'ailleurs repris le thème en 1999, dans "Le passage du gay", en l'enrichissant d'une seconde partie. Car " Un diable sur mesure " avait une fin ouverte. Cette nouvelle version est évidemment beaucoup plus réaliste, et ne craint pas d'évoquer les amours et les désirs de mon héros. Depuis " Un diable sur mesure ", j'ai souvent mis en scène et en lumière des gays dans de nombreux romans. Je crois que le plus émouvant est le personnage principal du "Trouble-Crime", qui va d'ailleurs être réédité en 2006 chez Noir Délire.

Construisez-vous absolument vos intrigues ou vous accordez-vous une part d'improvisation ?
J.-P. F. : Je pars d'une image… une simple image qui, un jour, s'impose à moi pour ne plus me quitter, et me conduit dans différentes directions. J'en choisis une, et je bâtis l'intrigue… à laquelle je suis généralement assez fidèle. On me demande souvent si les faits-divers ou l'actualité m'inspirent : jamais !

Vous cultivez une narration enjouée, souvent ironique. Cette tonalité souriante est dans votre caractère ?
J.-P. F. : Oui, je pense ! L'humour, avant tout. Même - et surtout - dans le drame. Mes amis disent que j'en ai… mais ce sont mes amis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Regrettez-vous de ne pas avoir reçu de prix littéraires ?
J.-P. F. : Je n'ai jamais reçu de prix (pas même à l'école !) et c'est le dernier de mes soucis. Je préfère avoir des lecteurs. Comme dit Jean-Pierre Marielle à propos des Césars : " Je ne suis pas un acteur de loterie ! " J'ajoute que j'ai toujours fui les séances de dédicaces, et que mes rares passages à la télé ont été des supplices.

Il suffit de lire vos romans pour deviner votre passion du cinéma, thème que vous abordez souvent. Satisfait du résultat quand vos livres ont été adaptés (parfois vous y avez contribué) ?
J.-P. F. : J'ai toujours eu la passion, la folie du cinéma. Entre 15 et 45 ans, je voyais au moins un ou deux films par jour, et j'étais un rat de cinémathèque. D'ailleurs, j'ai l'habitude de dire que mes romans sont les films que je n'ai pas tournés… J'ai aimé l'adaptation de "Constance aux enfers" [avec Michèle Morgan] - à laquelle j'ai beaucoup collaboré. Moins celle des " Veuves " qui s'est faite sans moi ; mais j'ai eu l'immense bonheur d'avoir Danielle Darrieux - mon idole depuis l'âge de sept ans - pour interprète. Elle est devenue une amie très chère… A la télévision, je me suis beaucoup amusé avec Alice Sapritch, pour " Une atroce petite musique ". Elle n'était pas le personnage, mais avait une telle présence qu'elle embarquait tout le monde avec elle. J'ai adoré Danièle Lebrun et Martine Chevalier dans "Une femme sans histoire". J'ai oublié le reste… mais il me semble que "Cadavres en vacances" (malheureusement invisible aujourd'hui) était un nanar très rigolo, avec l'irrésistible Noël Roquevert en commissaire ! Mes regrets : ne pas avoir eu l'occasion de concrétiser les projets, pourtant très avancés, que j'avais avec deux excellents amis : Jacques Demy (dont j'étais fan) et Michel Drach.

Vous écrivez toujours, et actualisez d'anciens romans. Même si l'édition a changé, vous êtes régulièrement publié. Votre plaisir d'écrire est intact, 50 ans après vos débuts ?
J.-P. F. : Oui, j'écris toujours, et je ne cesse d'imaginer des histoires. Mes tiroirs débordent de résumés que je ne développerai jamais. Sur le plan édition, j'alterne - autant que possible - les inédits et les rééditions. Certains livres sont entièrement réécrits, ou livrés brut. D'autres, enfin, ont été publiés par un éditeur en train de faire faillite, et n'ont donc pas été commercialisés. Selon moi, ils ont droit à une seconde chance. Ce sera le cas pour "Le trouble-crime" (déjà cité) et pour "Le dernier sursaut"…



Merci à Jean-Pierre Ferrière pour ses réponses.
On retrouve ses livres les plus anciens dans les collections "La Chouette" publiée par F.Ditis, "Spécial-police" du Fleuve Noir, J'ai Lu, et Le Livre de Poche . Citons aussi ses livres récents : "Meurtre en bonus" (2003, Éditions Page après page), "La mort qu'on voit danser" (2004, Page après page), "Le carnet noir de Rosemonde Talbot" (2004, Éditions Noir Délire), "Des relations de plage" (2005, Éditions. H.&O.), "Haine, ma sœur haine…" (2005, Noir Délire)

 

Claude LE NOCHER