Interview de Laurent Besnier, directeur de Folio Policier

Lionel Besnier, directeur de la collection Folio Policier a répondu aux questions de Sophie Colpaert sur son travail, ses objectifs et ses projets.

Sophie Colpaert : Comment devient-on directeur de collection ?

Lionel Besnier : Je ne répondrai que pour ce qui me concerne tant j'ai le sentiment que les chemins qui mènent à ces métiers sont une succession de parcours individuels. Techniquement, je ne suis pas " Directeur de collection ". Cette dénomination correspond à une rémunération au pourcentage sur les ventes réalisées alors que je suis pour ma part salarié ce qui n'ôte rien aux responsabilités incombant à la gestion d'une collection. Ce n'est qu'une précision. Le Directeur de collection n'a pas la sécurité de la paye, (il peut aussi gagner beaucoup si cela marche) et a parfois une renommée aussi grande que ces livres ce qui peut entraîner sa collection dans la chute ou l'arrêt d'activité dès lors qu'il s'arrête ou change d'horizon. L'autre formule privilégie la pérennité de la collection avec des personnes pour la servir.
Pour ma part, je serais tenté de dire que je suis à ce poste aujourd'hui pour avoir travaillé. Simplement. Je ne suis pas le seul évidemment dans ce cas. Il s'est trouvé qu'après cinq années d'existence et la reprise en poche des principaux grands classiques et romans plus contemporains reconnus publiés par Gallimard, cette grande maison s'est intéressée au devenir de Folio Policier. L'un des regards qui intéressait était celui émanant des rayons : l'avis d'un libraire et d'un amateur du genre. Dans la mesure où j'avais déjà travaillé pour la Série noire comme lecteur, tout en passant dans les mêmes fonctions par les Editions Baleine et la collection Librio, et que je gérais depuis près de cinq ans le rayon poche d'une librairie tout en animant des rencontres littéraires (polar notamment), il m'a été demandé de donner un avis sur ce catalogue. A la suite de quoi on m'a proposé de mettre en musique les perspectives proposées. C'est une chance. La rencontre d'un profil avec un besoin. C'est pour cela que je parle de travail, de parcours et de rencontre. Pour ma part, cela fait près de dix que je suis avec ou dans les livres. J'ai toujours énormément lu. J'ai aussi de plus en plus conscience qu'il ne suffit pas d'être un bon lecteur pour être forcément bon éditeur. C'est un métier complexe.

 

 

 


A quoi ressemble la journée d'un directeur de collection ?
L.B. : Le plus simple, car rien ne se fait jamais dans le même ordre, est peut-être encore de citer tout ce qui est à réaliser pour choisir, fabriquer, défendre, faire connaître et promouvoir les livres retenus. Ce qui est également essentiel à intégrer est que la vie d'une collection ne s'arrête pas à l'éditeur. C'est une équipe, le résultat de concertations et, si le poste implique une vue plus générale, il dépend du savoir-faire et des compétences de nombreuses autres personnes (fabrication, service artistique, correcteurs, représentants, responsable des contrats, assistant(e)s, marketing, attaché(e)s de presse, service Internet, Direction pour l'expérience et les écueils à éviter…). On ne va pas bien loin tout seul. En ce qui me concerne, j'ai mon énergie et la collection profite d'un entourage de grande valeur.
Concrètement, le choix des quarante titres annuels se fait à partir de la lecture des romans publiés par une trentaine d'éditeurs auxquels s'ajoutent une vigilance plus large et la plus précise possible tant il est vrai que de nombreux purs polars sortent dans des collections généralistes et que les collections de genre se démultiplient. Un gros travail donc de lecture et d'informations pour ensuite établir un choix, négocier les contrats avec les ayant droits, les agents, les traducteurs ou les éditeurs de grand format (perdre parfois au profit d'une autre collection, cela s'appelle la concurrence), et ensuite, si l'auteur et le traducteur en sont d'accord, profiter du passage en poche pour améliorer le texte, le débarrasser de ces éventuelles coquilles, utiliser des remarques réalisées par la première rencontre avec les lecteurs en inédits pour proposer le meilleur texte possible. Ce travail de fond trouve son prolongement avec le service artistique et la fabrication : faire un livre le mieux possible avec un visuel attirant et porteur de sens identifiant la collection. Cela peut prendre du temps mais c'est aussi ce qui fait notre singularité. A cela s'ajoute la relecture des épreuves, la rédaction des quatrièmes de couverture, des biographies, des bibliographies, des notes de lecture pour argumenter des choix et tout un suivi et une mise à jour des titres à l'occasion des réimpressions. Ne pas oublier les argumentaires à rédiger afin de permettre aux représentants de proposer les livres en librairies et tout le travail relationnel avec les auteurs, agents, éditeurs d'inédits, les particuliers souhaitant faire lire un manuscrit et les multiples autres intervenants. C'est vivant. Imprévu. Cela passe par pas mal de rédactionnel. Je ne sais pas, par exemple, s'il n'y aura pas tout à l'heure, sur le site Internet, la sollicitation bienvenue d'un enseignant pour une rencontre avec un auteur. Ou bien une remarque d'un lecteur sur un livre.
S'ajoute à cela le site dédié à la collection avec des chroniques de libraires ainsi que la présentation thématique de titres reprenant pour partie le contenu d'un guide proposé gratuitement en librairie au mois de mai de chaque année.
Important également, la coordination des lignes éditoriales et des choix avec la collection de référence de la maison qu'est la Série noire dirigée par Aurélien Masson en à ce jour en pleine renaissance. S'il y a, pour les amateurs, un travail à surveiller porteur de surprises, c'est bien de ce côté-là qu'il faut regarder. Voilà, j'en oublie, il y a des réunions, des projets, des pauses café, des stratégies, des plaisirs et des défaites. J'attends en ce moment les résultats d'une négociation sur un titre remarquable. A suivre…

Est-ce que votre passé de libraire, et le contact qu'il vous procurait avec les lecteurs/acheteurs, influence votre travail de directeur de collection ?

L.B. : Incontestablement.

Où en était la collection à votre arrivée et qu'avez-vous apporté ?

L.B. : Folio Policier, il y a maintenant un peu plus de deux ans, était une collection clairement identifiée comme étant le prolongement en pur format poche, et pour d'autres lecteurs, des titres historiques ou reconnus de Gallimard jusque là présents en Série noire, Folio et autres collections. C'était aussi, et cela reste, un espace permettant de valoriser et défendre, via la diffusion du poche, de grands classiques du roman noir et donc de la littérature en générale. On peut penser à Chandler, Hammett, Goodis, Simenon, Boileau-Narcejac, Horace McCoy, Irish, Chester Himes, Jim Thompson, Charles Williams auxquels s'ajoutent par le travail de la SN des auteurs plus contemporains, français et anglo-saxons, eux aussi devenus classiques ou emblématiques de l'histoire du genre comme Manchette, Amila, Barjavel, Japrisot, Jonquet, Benacquista, Daeninckx, Pouy, Izzo, Dantec, Magnan, Crumley, Crews, Goines. Un très beau catalogue, donc, relayant sous une autre forme et pour mieux le faire connaître, le travail de la maison. Des auteurs, écrivains à part entière comme Bernard Mathieu, restent par exemple à découvrir.
A cela s'ajoute désormais de façon complémentaire, l'ouverture vers d'autres horizons littéraires et la reprise en poche de romans venus de maisons d'éditions n'ayant structurellement pas toujours de débouchés poche assurés. En cela nous ne nous contentons pas de décliner commercialement des titres mais nous contribuons, c'est un souhait, à la découverte d'auteurs et, nous l'espérons, au dynamisme du genre. Cela nous permet de faire lire des norvégiens comme Nesbo ou Staalesen, des finlandais tel Joensuu, des britanniques comme Graham Hurley ou Colin Bateman, des italiens d'une nouvelle vague illustrée par Todde ou Perissinotto ; les russes Vaïner, le très excellent Yasmina Khadra ou l'israélienne Batya Gour (janvier 2006). S'y mêlent des auteurs en devenir en France comme Boston Teran ou Ken Bruen en lesquels nous croyons. Il y a aussi des auteurs français (Caryl Férey, Patrick Pécherot, Colin Thibert) et aussi l'ouverture vers d'autres genres spécifiques du polar comme le roman historique ou le thriller psychologique qui ont toute leur place dans un catalogue en mesure de rendre compte de la diversité du genre. C'est un peu, en essayant de rester sur des critères qualitatifs imposés par les grands noms du catalogue, profiter de leurs notoriétés pour promouvoir l'excellence et la richesse d'un genre en évolution constante. Rien d'élitiste. Des histoires. Des individus. Des univers. Pour cela il faut du temps et des moyens. C'est une question de disponibilité. On m'a donné la possibilité de le tenter.

 

 

 

 

 


Quels auteurs se vendent le mieux ?

L.B. : Les grands classiques toujours à découvrir (Manchette, Chandler, Hammett), les classiques contemporains (Izzo, Dantec, Jonquet, Benacquista, Rankin, Dan Simmons…) mais aussi les nouveautés (Asensi, Carlene Thompson, Jo Nesbo, Staalesen, Vainer, Hurley, Lansdale, Palahniuk…) Nous n'avons pas à nous plaindre.

Comment décide-t-on de telle ou telle réédition ?

L.B. : Ce n'est que du cas par cas. Un équilibre entre de multiples critères. La subjectivité entre en ligne de compte. Le coup de cœur et l'envie de défendre un roman et des auteurs. C'est aussi du poche et il y a des éléments commerciaux et de rentabilité à prendre en compte. L'édition est un secteur économique il ne faut pas l'oublier. Si une collection ne vend pas, elle est morte. Ce qui reste cependant la singularité de Folio Policier est sans doute sa faculté voulue et assumée de prendre des risques avec des auteurs en devenir, méconnus et que l'on suppose de talent. La collection sert aussi de relais à la Série noire. Nous travaillons en très étroite collaboration. C'est structurel et au service des auteurs ; une collection d'inédits en grand format et une déclinaison poche pour ensuite continuer le travail de reconnaissance.

La collection publiera-t-elle (ou a-t-elle publiée) un jour des inédits ?

L.B. : Pourquoi pas. Cela reste un peu prématuré.

Quels auteurs auriez-vous voulu éditer ?

L.B. : Je répondrai donc pour la littérature de genre même si cela reste un peu, à mon sens, un faux problème dans la mesure où l'essentiel reste qu'un titre soit disponible et peu importe chez qui. Je peux juste dire mon admiration pour le travail d'Anne Marie Métailié et sa découverte de l'islandais Indridason. C'est un grand.

Quels titres vous ont marqué, en tant que lecteur, en tant que libraire et en tant qu'éditeur ?

L.B. : Comme lecteur ? Tout récemment Deadwood de Pete Dexter publié dans La Noire et, il y a un peu plus longtemps, la trilogie de Dina de Wassmo découverte par Gaïa Editions. En très noir, publié par l'Olivier, Bad City Blues de Tim Willocks.
J'aime aussi beaucoup Amado, Steinbeck, Galsan Tschinag et j'ai beaucoup aimé Un matin à Irgalem de Davide Longo publié à La Fosse aux ours. Beaucoup d'autres, il est difficile ensuite de dissocier les fonctions, de savoir si je lis pour mon travail, le plaisir, ou les deux. J'avais adoré en librairie promouvoir La mort du roi Tsongor de Laurent Gaudé ensuite reconnu par les lecteurs, Bord de mer de Véronique Olmi ou La saga de Youza de Baltouchis. On peut discuter des heures. J'aime lire. Il m'arrivait en librairie de proposer Aurélien ou Bernanos (Un crime). Cela dépendait aussi des humeurs. Surtout de l'envie du client.

Si, comme éditeur, j'aurais bien aimé publier Rafael derniers jours de Gregory Mcdonald. C'est un 10/18 et cela vaut d'être lu. C'est du coriace. Et toujours dans ce rôle, je suis assez heureux de pouvoir annoncer la reprise en Folio Policier en 2006 des deux premiers romans de James Crumley (Le dernier baiser et Fausse piste) ainsi que la publication d'une excellent roman de Lansdale découvert par Aurélie Tronchet chez Murder Inc et nommé Les marécages. Ce livre, servi par la traduction de grande qualité de Bernard Blanc, est un très bel hommage au chef d'œuvre de Davis Grubb La nuit du chasseur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Comment considérez-vous les autres grandes collections de poche (le Livre de Poche, Grands Détectives…) : comme des concurrents à qui il faut prendre des parts de marchés ou envisagez-vous les choses de manière plus complémentaire ?

L.B. : Je suis persuadé qu'il y a de place et qu'il suffit de bien préciser l'identité et la singularité de chaque collection. Ensuite, il nous arrive d'être en concurrence sur des titres qui peuvent légitimement avoir leur place à plusieurs endroits. C'est le métier. Il faut bien sûr exister pour être vu et donc lu. Les plantes qui manquent de lumière grandissent moins vite. Nous publions pour que les livres soient lus. C'est un métier de partage.

Existe-t-il des collections similaires en Europe qui s'inspirent de votre collection ou dont vous vous inspirez ?

L.B. : Je ne sais pas.

Comment envisagez-vous l'avenir de la collection après la disparition de la Série Noire en format de poche ?

L.B. : Comme avant. Ce sera juste beaucoup plus simple pour les libraires et les lecteurs car la Série noire était plutôt ces dernières années, dans son prix comme dans son format, du semi poche avec, à ses côtés, la collection La Noire en grand format. Il y aura désormais une collection - c'est la nouvelle Série noire - d'inédits en grand format et au prix plafonné (pas plus de 20 euros sauf coût de fabrication ou autres trop importants) resserrée sur un travail de découverte (et il y en a !). En relais une collection de poche pour appuyer et décliner comme dans n'importe quelle autre grande maison. La Série noire évolue. Folio Policier suit. C'est un tandem. La seule sanction est celle des lecteurs. La Série noire a beau avoir soixante ans, elle demeure, plus encore, dans ses goûts, une gamine énervée.


Sophie Colpaert
Octobre 2005