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Mervyn Peake

Biographie : Mervyn Peake (mort en 1968) fut dessinateur avant de songer à écrire. Il illustra Lewis Carroll, Grimm, Stevenson, Coleridge et Balzac pour ses Contes drolatiques. Ce choix est révélateur.
Il y a un incontestable côté visionnaire dans Titus d'Enfer. Les habitants fantomatiques et monstrueux de la gigantesque forteresse de Gormenghast surgissent comme des apparitions, inséparables de leur décor : l'énorme cuisinier Lenflure auprès de ses fourneaux, le squelettique serviteur Craclosse qui arpente les couloirs-labyrinthes de la demeure; Rottcodd, conservateur oublié de l'interminable galerie des Brillantes Sculptures; la comtesse Gertrude, ogresse amoureuse d'oiseaux et de chats blancs; le comte au milieu de ses livres; la jeune Fuchsia dans son grenier... Mais le personnage central du roman est incontestablement le château lui-même. Poternes, donjons, tours, quartiers délabrés, appartements, galeries, escaliers, bibliothèques, jardins et voûtes se multiplient à l'infini en des perspectives quasi piranésiennes. Nul ne peut prétendre en percer tous les mystères. Si bien que cet espace fermé, étouffant, se trouve être aussi infini. Le dehors et le dedans échangent sans cesse leurs attributs,
Mais trop insister sur la force des compositions presque graphiques de Mervyn Peake, rendrait mal compte de ce livre dont les mérites relèvent d'abord de la littérature. Il y a dans Titus d'Enfer une agitation incessante, des intrigues, des duels, des coups de théâtre qui traduisent la dégradation du rituel des hôtes de Gormenghast. Bref un mouvement général qui se dégage de la fébrilité étourdissante des descriptions, des rencontres, des conflits. Chacun des protagonistes possède - outre un patronyme qui le démasque - son propre langage, son vocabulaire, ses expressions, son rythme particulier qui finissent par le cerner et l'envahir. L'auteur luimême passe de la description neutre à un certain lyrisme. Ses styles s'accordent à ses propos.
Faut-il voir un hommage à Joyce dans la scène du banquet d'anniversaire de Titus, dernier-né des comtes d'Enfer, lorsque se superposent les monologues intérieurs de tous les convives? Les fantômes de Rabelais, Swift et Lewis Carroll se sont-ils donné rendez-vous dans cette demeure pantagruélique, de l'autre côté du miroir, où l'on ne sait jamais si l'on est un géant chez les nains ou un être microscopique chez des colosses terrifiants? De fait, on pourrait s'amuser à dénombrer toutes les lectures possibles de cet ouvrage multiforme :
Lecture fantastique tout d'abord. Il suffit de se laisser prendre par les descriptions, les personnages, les situations, de se laisser attirer au centre du château - comme en un lieu enchanté - où se perd peu à peu notre raison.
Lecture psychologique, pourquoi pas? A travers le personnage de Finelame, jeune ambitieux qui va s'insinuer dans le château pour en briser le sacro-saint rituel et conquérir le pouvoir, nous assistons à une intrigue par-
faitement ourdie. Si les personnages sont monstrueux, ils ne sont pas incompréhensibles mais simplement excessifs. Finelame, c'est un Rastignac dopé aux hormones. Ainsi peuvent-ils nous émerveiller sans échapper à l'échelle de nos mesures. A la limite, toute identification reste possible. Les scènes dialoguées deviennent chez Mervyn Peake des miracles de finesse, d'observation, d'intuition.
Lecture politique enfin. Il n'est pas interdit de voir dans Tilus d'Enfer un roman symbolique. Le château ne figure-t-il pas ce champ clos où s'exerce le pouvoir? L'amour et l'art semblent les privilèges de l'extérieur. Les hôtes de Gormenghast n'en appréhendent que les reflets. Un protocole étouffant contraint tous leurs mouvements. Et c'est par la dégradation de ce protocole, par celle de la tradition, que l'ordre pourra être réellement ébranlé.
On pourrait multiplier encore les références à Rimbaud, à Kubin, au roman gothique, à des peintres ou dessinateurs comme Goya, Daumier, Gustave Doré... C'est sans doute le privilège des grands livres que d'inspirer tant de rapprochements. Mais c'est aussi leur mérite que de les décourager. L'oeuvre de Mervyn Peake est littéralement singulière. Source : Le Livre de Poche

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