Le Billet Polar de Sophie Colpaert

La Chronique Baladeuse de février

Pour son dixième numéro, un petit anniversaire en soi!, la Chronique Baladeuse se donne des airs de Thalassa les soirs d'émissions spéciales et vous emmène... à Valparaiso. Une ville bâtie à flancs de collines escarpées autour d'une baie spectaculaire animée par un gigantesque port, des dégringolades de maisons colorées, constructions de tôle, de bois ou de pierre selon les moyens du quartier, mais toutes tournées vers la mer, voilà pour la carte postale. Dans ce dédale à la verticale serpente un détective fauché, quinquagénaire bedonnant qui perd ses tifs, myope comme une taupe et soufflant comme un phoque. Enfant de Cuba marqué à vie par la chaleur et les rythmes des Caraïbes, Cayetano Brulé préfère oublier la jolie chilienne qui l'a planté dans le froid humide et les pluies diluviennes de Valparaiso! Et comme si cela ne suffisait pas, la ville disparaît périodiquement sous les nuages de pollution et la camanchaca, cet épais brouillard venu de la mer. Échoué au Chili dans les années soixante-dix, Cayetano Brulé a connu, à l'instar de ses compatriotes d'adoption, les années de la dictature. On survit... De cette période là, les romans de Roberto Ampuero ne racontent pas grand chose, sauf à lire entre les lignes, au détour d'une allusion, parfois plus parlante qu'un long discours.


Diplômé détective par un institut d'études par correspondance de Miami, Brulé s'est installé un petit bureau encombré au sommet d'un immeuble délabré au toit percé. Le vacarme de la circulation automobile et les gaz d'échappements s'y invitent par les fenêtres disjointes. Parfois, sous la poussée du vent, c'est une averse qui vient noyer le châssis dévolu aux archives. L'arôme du café fort et parfumé, régal vital pour Don Cayetano, transforme ce capharnaüm humide en une pièce chaleureuse et accueillante.

Un matin de février, Carlos Kustermann, richissime entrepreneur de la région de Valparaiso, pousse la porte du petit bureau de Brulé. Son fils unique, Cristián, a été assassiné quatre mois auparavant, le 11 octobre, dans sa pizzeria de Reñaca et l'enquête policière n'a pas donné grand chose. Le détective accepte de se pencher sur cette affaire. La vie de Cristián Kustermann n'a pas toujours été celle, tranquille, d'un propriétaire de pizzeria dans une station balnéaire en vogue. Pro Pinochet, à l'égal de son père, jusque dans les années quatre-vingt, Cristián Kustermann avait fini par se forger une opinion contraire, et si solidement ancrée qu'elle l'a conduit à passer secrètement cinq années à Cuba, à l'Institut Technique Militaire, aux côtés des futurs guérilleros en partance pour l'Amérique Latine et ses nombreuses révolutions. Cristián et ses compagnons de formation souhaitaient libérer le Chili par les armes. Le fil de l'Histoire les a rattrapés mais ont-ils tous accepté les changements et abandonnés la lutte armée?... L'Affaire Kustermann permet au détective de renouer avec l'Allemagne où il a effectué son service militaire dans les forces américaines et surtout de retourner à Cuba, son île natale, quittée dans le sillage de ses parents, en partance pour l'exil et les États-Unis. Le roman détaille ainsi les nombreux liens, politiques et économiques, plus ou moins avouables, qui se sont tissés entre l'Allemagne, le Chili et Cuba.


Le Rêveur de l'Atacama surfe sur la même thématique mais avec une intrigue radicalement différente. Willy Balsen, un technicien allemand, a été assassiné dans son logement de San Pedro de Atacama. Un mois plus tard, une journaliste allemande s'introduit dans le minuscule bureau de Don Cayetano, déguste son magnifique café et lui demande d'enquêter sur la mort de Balsen pour le compte de son journal. Le technicien lui avait confié qu'il détenait des informations susceptibles d'intéresser la presse. Flanquée de Cornelia Kratz, dont les manières directes détonnent par rapport au comportement chilien, Cayetano Brulé se rend donc à San Pedro de Atacama, minuscule oasis dans le désert le plus aride de la planète, à deux mille cinq cent mètres d'altitude... Dans ce décor grandiose de pierres et de poussière, Balsen travaillait à un projet d'irrigation des terres mais il n'a laissé derrière lui qu'un désastre écologique et économique. La nappe phréatique est désormais asséchée. Les prochaines gouttes de pluie ne tomberont pas avant quarante ans et les paysans qui se sont endettés pour suivre l'Allemand dans ses projets sont désormais ruinés, propriétaires de terres incultivables. Cependant, les dégâts causés par Balsen ne sont rien à côté des travaux effectués par la société Antares dans les endroits les plus reculés du désert, à l'abri des regards. Et l'on meurt décidément beaucoup dans l'entourage d'Antares : deux jours après l'assassinat de Balsen, un député chilien lié à Antares s'est tué à bord de son avion privé, saboté, tandis qu'une technicienne d'Antares, très proche de Balsen, était renvoyée manu militari en Allemagne où elle a trouvé la mort peu après son retrour dans des circonstances étranges, de quoi chatouiller la moustache de Brulé!...

Enfin, troisième étape de notre voyage sur papier et sur écran, Boléros à La Havane diffère nettement des titres précédents, tant par l'intrigue que par le rythme de la narration. Placido Del Rosal est un obscur chanteur de boléros qui écume les cabarets de second ordre. Au retour de sa dernière tournée, il découvre que ses bagages se sont enrichis d'une mallette de dollars et on a tenté de l'assassiner. Réfugié à La Havane, il fait venir Cayetano Brulé. Le détective trouve une planque au chanteur. Puis il se rend à Miami où est apparu la mallette. Resté seul à La Havane, Placido Del Rosal sort de l'anonymat et se fait engager au Tropicana, le cabaret le plus réputé de la ville. Il y tombe amoureux de la danseuse vedette, Paloma Matamoros. La jeune femme n'a qu'un but : se faire épouser par un étranger pour pouvoir quitter l'île et son quotidien de combines en tout genre. Placido n'étant pas en mesure d'exaucer son voeu le plus cher, Paloma se tourne vers un beau touriste qui lui rappelle son premier amour... et qui n'est autre que le tueur à gages lancé sur les traces du chanteur de boléros!... Tout ce petit monde se transporte à Valparaiso pour un jeu de cache cache qui se termine dans une cabine de funiculaire, élément de décor typique de la ville et merveilleusement exploité par le romancier. Avec ses courts chapitres aux sujets variés et au suspense intense Boléros à La Havane procure une lecture aussi divertissante que revigorante! Hasta Luego!

Sophie Colpaert,
Février 2007

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