Les amateurs de romans noirs connaissent déjà le nom et l'œuvre de Claude Amoz. En quelques titres, elle a su imposer une tonalité personnelle qui ne peut laisser aucun lecteur indifférent. Elle raconte des histoires aussi sombres que captivantes, psychologiquement très fortes. Sans doute ses romans denses aux ambiances déroutantes peuvent-ils nous déstabiliser. Cette originalité a été saluée par plusieurs jurys de prix littéraires. Pour essayer de mieux cerner cet auteur, pourquoi ne pas lui poser quelques questions ?


Claude le Nocher : Ton premier roman ("Le Caveau", 1997) a reçu le prix Sang d'Encre au Festival de Vienne. Fière de cette reconnaissance immédiate ?
Claude Amoz : Fière, je n'oserais pas (je m'en sens quand même un peu indigne!) Pleine de gratitude surtout. Je signale seulement que la reconnaissance a été moins "immédiate" qu'elle n'en a l'air dans la mesure où j'ai longtemps galéré (des années) avant d'être publiée.

"Bois-Brûlé" (2002) a obtenu le Prix Mystère. "Etoiles cannibales" (2003) a reçu le Prix du Polar SNCF. Tu veux collectionner tous les trophées ?
C.A. : Bien sûr. Mes dents rayent tous les parquets, les planchers, et même les carrelages.

Quête d'identité et passé douloureux sont tes thèmes de prédilection. Pourquoi ?
C.A. : Au départ, ce n'était pas un projet calculé ; ce sont les lecteurs qui m'ont fait prendre conscience de la récurrence de ces thèmes. Pourquoi? Sans doute parce que j'ai rarement rencontré des adultes qui ne soient pas, quelque part en eux, des enfants blessés mal consolés et mal grandis (moi la première).

Tu es sombre dans tes romans, alors que tu sembles souriante dans la vie. Es-tu de nature optimiste ou pessimiste ?
C.A. : Difficile à dire. Le "connais-toi toi même" est encore l'injonction la plus difficile à réaliser. Peut-être que les romans "noirs" me permettent d'exorciser ma face sombre. De plus, on m'a appris que la suprême politesse, c'est de faire bonne figure, quoi qu'il se passe à l'intérieur. Alors le sourire...

 

 

Aimerais-tu que, pour toucher un plus vaste public, tes livres soient adaptés au cinéma ou a la télévision ? Est-ce possible ?
C.A. : Bien sûr. Il y a eu une proposition, par Claire Devers pour "Bois-Brûlé". Ca ne s'est pas fait. Question d'argent, je suppose. On m'avait également dit que "Le Caveau" se prêterait bien à une adaptation. Là encore, ce n'est pas allé plus loin. J'attends...

"Racines amères" (2002), "Tours de clef" (2004), "Pour te garder" (in "Le Rose et le Noir", 2004)… Tu parais beaucoup aimer écrire des nouvelles ?
C.A. : En effet. C'est un genre que je n'appréciais pas tellement autrefois, en tant que lectrice (j'aime les créations longues, m'immerger pendant des heures dans l'univers d'un écrivain), mais depuis qu'on m'en a commandé, je me suis prise au jeu et je goûte maintenant beaucoup les textes courts.

Quand tu rencontres tes lecteurs, quels compliments ou reproches t'adressent-ils ?
C.A. : Les principaux reproches: c'est sinistre, ça fout le blues, les personnages sont bloqués dans le passé, on étouffe, il n'y a pas d'avenir, pas d'humour...
Le compliment qui me fait le plus plaisir: quand les gens disent (parfois) qu'ils se retrouvent dans certains de mes personnages.

Si on ne doit lire qu'un seul de tes livres, lequel et pourquoi ?
C.A. : Mon préféré, c'est "Dans la tourbe" (mais c'est le plus cafardeux). Sinon, "Bois-Brûlé", où se rencontrent pas mal de mes obsessions (le poids du passé et de l'histoire, les jalousies inavouées, les mensonges...); et il est plus facile à lire, plus polar, que "Dans la tourbe".

A part le polar, quelles sont tes passions dans la vie ?
C.A. : Rencontrer les êtres, les découvrir derrière leurs masques (mais ça rejoint le polar).
L'amour (je n'insiste pas...)
Je n'ai pas vraiment de hobby, même si j'aime la mer, les paysages un peu mous, aux frontières indistinctes (landes, étangs, tourbières, lagunes, marais salants), le grec et le latin, et lire, lire, lire...

As-tu une technique de travail (rigueur des horaires, silence monacal, documentation abondante…) ?
C.A. : a-Horaires: Dans l'idéal: je devrais écrire tous les jours, à heure fixe (pour moi, le matin). Mais dans la pratique, je traverse des zones, plus ou moins longues, et toujours éprouvantes, de silence. Et puis, quand la magie veut bien revenir, ce sont des heures et des heures de travail intense et joyeux.
Je me reconnais tout à fait dans cette interview de Camus:
"La création est une discipline intellectuelle et corporelle, une école d'énergie. Je n'ai jamais rien fait dans l'anarchie ou l'avachissement physique
-Travaillez-vous régulièrement?
-Je m'y efforce. Quand tout va bien, quatre ou cinq heures au début de chaque journée. Quand tout va mal..." (Essais, bibliothèque de la Pléiade, p. 1921; j'aime beaucoup ce "quand tout va mal"...)
b-Silence monacal: En général, je ne mets pas de musique chez moi quand j'écris (s'il y a de la musique, je l'écoute et ne suis plus disponible à l'écriture), mais je ne suis pas maniaque, et peux travailler dans un bar plein de monde et de bruit.
c-Documentation abondante: oui, absolument. Et je vais sur place en "repérage". Par exemple, pour Bois-Brûlé, qui se passe en Argonne, j'ai parcouru la région à pied (les gens du coin m'ont prise pour une folle!), me suis perdue (comme mon personnage) dans une forêt encore marquée par les tranchées de la Grande Guerre, ai risqué ma vie (j'ai tiré sur des bouts de fer qui auraient bien pu être les goupilles de grenades)... Heureusement, la ville d'Etoiles cannibales est imaginaire, il me suffit de fermer les yeux pour la voir (mais je me suis documentée sur les foyers pour S.D.F où j'ai moi-même travaillé, il y a longtemps).

Quels "sujets de société" t'amusent ou t'agacent actuellement ?
C.A. : Je n'aime pas le "politiquement correct" (je ne suis pas la seule!). Alors dire que tous les clodos sont "gentils", que tous les jeunes des cités sont des paumés au grand cœur, que tous les politiques et tous les policiers sont des "ripous", non!

Quels sont tes projets d'écriture ?
C.A. : Une règle d'or, ne jamais en parler tant qu'ils ne sont pas aboutis. Ils sont si fragiles que le moindre regard étranger pourrait les réduire en bulles de savon.

 



Les chroniqueurs de polars ont rapidement été marqués par la qualité des romans de Claude Amoz. Voici quelques extraits de leurs commentaires :
Sur "Le Caveau" : "… son récit, qui fait la part belle à la psychologie, explore l'âme humaine avec virtuosité ; et les nombreuses fausses pistes tiennent le lecteur en haleine de bout en bout. Et l'écriture, répétons-le, est un régal." (Claude Mesplède, "La Tête en Noir" n°70, décembre 1997-janvier 1998)
Sur "L'ancien crime" : "Ce livre nous montre un monde de désespoir dans lequel nous reconnaissons nos villes et nos rues, nos habitudes et nos destinées, mais au travers d'un douloureux miroir noir. Les phrases sont belles, immédiates, et ne souffrent d'aucune impureté…" (Nathanaël Tribondeau, "L'Année de la Fiction" volume 11, Editions Encrage 2003)
Sur "Dans la tourbe" : "Claude Amoz écrit comme si elle apposait sur l'intrigue une mousseline, un voile transparent qui laisserait apparaître le temps d'une phrase la signification profonde de son propos. Puis tout s'estompe, brume qui se déchire pour mieux se reformer et englober dans un rets un paysage qui se déforme au fur et à mesure que le lecteur avance dans l'intrigue." (Paul Maugendre, "La Tête en Noir" n°78, avril-mai 1999)
Sur "Bois-Brûlé" : "Comme dans les précédents romans de Claude Amoz […] le passé pèse lourdement et douloureusement sur les cœurs et sur les lieux du drame… une ambiance angoissante et fantomatique qui renforce l'empreinte durable que laisse ce livre dans l'esprit du lecteur." (Jean-Claude Alizet, "L'Année de la Fiction" volume 12, Editions Encrage 2004)
Sur son œuvre : "… Claude Amoz interroge l'apparence des choses, la fragilité de la mémoire, la recherche d'identité, le passé douloureux qui façonne les êtres de manière indélébile." (Claude Mesplède, "Dictionnaire des Littératures Policières, Editions Joseph K. 2003)


Bibliographie de Claude Amoz :
LE CAVEAU (1997, Hors Commerce - réédition J'ai Lu)
DANS LA TOURBE (1998, Hors Commerce - réédition J'ai Lu)
L'ANCIEN CRIME (1999, Rivages/Noir)
BOIS-BRÛLE (2002, Rivages/Noir)
RACINES AMERES (2002, Nestiveqnen)
ETOILES CANNIBALES (2003, Rivages/Noir)
UN DE TROP (2003, Editions Eden)
TOURS DE CLEF (2004, Editions Autrement "Noir Urbain")


Ne vous semble-t-elle pas singulière, cette Claude Amoz ? N'est-ce pas une excellente raison pour découvrir ses livres ? Bonne lecture !

Claude LE NOCHER