Interview de

Après quelques galères pour l'édition de son deuxième livre, Joachim Sebastiano Valdez nous offre un premier polar réussi. Nous avons voulu en savoir plus sur cet auteur au coeur chilien. Polar de campagne dans un univers de plus en plus clos et noir. Un dénouement intéressant. Encore un bon moment à passer à lire.

Luis Alfredo : J. S Valdez pourriez-vous vous présenter rapidement aux lecteurs de ce site (profession, âge, etc.)?
J. S Valdez : J'ai 56 ans, je suis père de deux enfants adultes aujourd'hui. Je dirige une p.m.e. de l'audiovisuel fondée avec quelques amis. Nous faisons de la formation professionnelle pour les métiers de cette branche, des prestations techniques et des films documentaires. Dans une autre vie, j'ai été très engagé au niveau politique mais ça me parait bien lointain. J'ai aussi participé à la création et aux premières années d'une maison d'édition, je dois dire que ça m'aide à comprendre la logique des éditeurs. Dans les années 70 j'ai vécu avec une chilienne. Nous sommes séparés depuis longtemps, mais je suis toujours resté un "chilien de cœur". De la mon désir de donner une origine chilienne à Clara Wyler l'héroïne de mon polar "trente loups gris" et de choisir un pseudo chilien.

Trente loups gris
Policier
296 Pages - 11/2001
ISBN : 291426416X


Première question traditionnelle : pourquoi écrire ?

- consciemment : pour essayer de comprendre la condition humaine

- fantasmatiquement : pour l'améliorer

- inconsciemment : pour plaire et avoir un statut social

- plus profondément : peut-être pour essayer d'approcher Dieu

Avant de venir au polar vous avez fait use escale par la littérature noble avec "Un hiver de notre histoire" Qu’avez-vous retenu de cette période ?

J. S. V. : Je ne suis pas sûr qu'il existe une littérature noble et une pas noble. J'aime beaucoup les livres de trois femmes écrivant des textes en apparence très différents : Annie Ernault (qui raconte sa vie en phrases courtes), Françoise Chandernagor (qui brosse de grandes fresques historiques) et Donna Léon (dont les polars vénitiens appartiennent pour moi au top de la littérature mondiale). Ce que je supporte difficilement, c'est le modèle de l'artiste posant son ego sur sa machine à écrire (ou sur les plateaux de télé). Je crois que j'aimerais être un bon artisan comme on le dit d'un ébéniste ou d'un cuisinier (d'ailleurs rien ne ressemble plus à un livre qu'un bon plat : si long à faire et si vite consommé !). A mon avis, on peut se révéler un honnête artisan aussi bien en noire qu'en blanche et inversement.

Pouvez-vous nous parler de "Un hiver de notre histoire"

J. S. V. : Comme beaucoup de premiers livres, "Un hiver de notre histoire" possédait un fond largement autobiographique. Publié en 1983, c'était un roman non politique qui se déroulait dans le monde relativement clos du parti communiste (dont j'ai été membre durant 15 ans). Il voulait montrer les diverses générations de militants en suivant une enquête - interne au parti - sur la mort accidentelle (ou suicidaire) d'un député communiste. Ce roman n'était pas assez anti-communiste pour plaire aux grands média et trop critique pour bénéficier du soutien de la presse communiste... En outre, il avait de nombreux défauts littéraires.

"Trente loups gris" se range dans la catégorie polar. Pourquoi vous êtes vous orienté vers ce style ?

J. S. V. : Essentiellement parce que j'aime les personnages d'enquêteurs ou d'enquêtrices qui révèlent la vérité par delà les illusions de l'apparence et parce que le processus de l'enquête structure le récit.

Pensez-vous ainsi vous approcher davantage de dieu

J. S. V. : Le polar pose sous de multiples formes la question du mal. Pourquoi quelqu'un devient-il un criminel ? Il y a beaucoup de réponses possibles ; par exemple : le marxisme dit parce qu'il a été opprimé par le système social, la psychanalyse parce qu'il a été victime de mauvais traitements dans son enfance. Ces réponses recouvrent une part de vérité. Pourtant, il me semble qu'on ne peut pas contourner le problème de l'existence ontologique du mal, du diable, des dieux mauvais (selon comment on choisit de le nommer) et par là, à l'inverse, des forces bienveillantes qui poussent les humains à la bonté, au don de soi, au partage (forces que le christianisme appelle Dieu)

Pourquoi avoir choisi de signer ce roman sous pseudonyme puisque vous dites écrire pour plaire et avoir un statut social ?

J. S. V. : Il me semble qu'un minimum de lucidité pousse à reconnaître qu'on écrit, en partie, pour attirer l'attention, pour "faire l'intéressant". En outre, le fait que je sois romancier m'a permis de rencontrer ma compagne. Comme c'est une belle histoire d'amour qui dure, je veux reconnaître cette dimension. J'ajouterai que pour moi la séduction n'est pas une fin mais un prélude à la communication entre deux êtres et que, par ailleurs, je suis quelqu'un d'assez discret à qui l'abri d'un pseudo convient bien. J'aimerais que mes livres se vendent. Mais je n'ai pas envie de vendre ma personne.

J'ai choisi un pseudo chilien pour deux raisons principales :

- Il y a quelques années j'ai appris la mort accidentelle, sur une route de Patagonie, de mon ex-compagne chilienne. Notre histoire, lointaine (un quart de siècle), assez courte (moins de trois ans), pour partie douloureuse et pour partie magique, est remontée à ma mémoire. Je me suis demandé ce qui serait advenu de nous si elle était venue en France plus jeune, moins blessée et/ou si, à l'époque, j'avais su une part de ce que je sais aujourd'hui sur les relations entre les hommes et les femmes, la sexualité et l'amour. J'ai eu alors envie de réécrire notre histoire en lui imaginant une fin heureuse.

- Longtemps je me suis considéré comme appartenant à la culture de l'Europe du Nord (j'ai été élevé en Bourgogne et j'adore Bruxelles et la Flandre). Pourtant, un jour j'ai appris que mon nom était très probablement d'origine hispanique. Il s'agirait de mercenaires aragonais au service de Louis XIII à qui le roi donna des terres dans la région de la Chaise Dieu (Haute Loire). Cette région est effectivement le berceau de la famille de mon père...

Le polar c'est quoi pour vous?

J. S. V. : Un genre où les contraintes engendrent la liberté, où l'on peut écrire sur l'histoire (passée ou en train de se faire), où l'on peut "gratter" la réalité sociale et faire entrevoir toutes les choses terribles qu'elle contient et dissimule.

Quels sont vos goûts en la matière ? Le "noir" ? L'énigme ? Le suspens ? Le classique ? Le "polar" historique ?

J. S. V. : J'aime à peu près tout avec une prédilection pour le polar classique avec enquêteur, pour le polar historique (comprendre le passé devrait normalement éviter de refaire les mêmes conneries). J'aime aussi le roman d'espionnage (dont John Le Carré est pour moi le modèle). Je n'aime pas trop le noir-noir, je préfère qu'il reste une lueur d'espoir, que les salauds ne gagnent pas toujours, que les histoires d'amour ne finissent pas toutes mal, que Dieu parvienne, parfois, à contenir le Diable.

Passons à votre Polar Trente loups gris.

Pourquoi avoir choisit comme enquêtrice (votre incarnation du bien) un capitaine de gendarmerie, personnage des plus rare dans le polar et qui vous contraint à respecter une procédure d'enquête. A ce sujet vous êtes-vous documenté sur celle-ci ?

J. S. V. : Pourquoi une enquêtrice de la Gendarmerie ?

1° parce que je souhaitais situer mon action à la campagne, domaine de compétence de la Gendarmerie

2° parce qu'il m'intéressait de montrer la vie d'une femme brillante dans un milieu professionnel très majoritairement masculin. Je suis fasciné par le phénomène des héritières - comme les filles d'hommes politiques - qui parviennent à modifier le comportement des institutions dont étaient membres leurs pères. C'est pour ça que j'ai fait de Clara une fille de colonel.

3° je suis intéressé par ce que les anglo-saxons appelle le "procedural", je me suis effectivement beaucoup renseigné sur le travail de la Gendarmerie. J'avais eu l'occasion de visiter leurs installations techniques du fort de Rosny et j'ai mis ma doc à jour par des livres et surtout par le site internet de l'Institut de Recherches Criminelles de la Gendarmerie Nationale (l'IRCGN auquel mon héroïne est censée appartenir). Ceci dit, j'ai pris certaines libertés avec la réalité de l’organisation interne de la Gendarmerie.

Le cadre de votre aventure est un minuscule village du massif central, en général, ou du moins dans l'image que l'on s’en fait le roman policier échappe rarement au décor urbain. Avez-vous choisi délibérément d'être à contre-courant et pourquoi ce choix ?

J. S. V. : Parce que je crois que la technologie moderne (de la voiture à internet) tend à réduire la différence entre la ville et la campagne. Dans la superbe campagne du Luberon à quelques kilomètres d'Avignon on trouve à la fois des viticulteurs, des maraîchers, des producteurs audiovisuels, des éditeurs et une entreprise d'imagerie médicale à la pointe de la technique mondiale. Au fond des marais de Camargue, où chaque année des dizaines de milliers de touristes viennent voir la "nature sauvage", la DGSE a installé une station d'écoute capable d'intercepter toutes les conversations téléphoniques des pays de la Méditerranée ! Je souhaite écrire des romans qui intègrent, le mieux possible, ces mutations sociales et techniques.

Très vite votre village devient un lieu clos (c'est du moins l'impression que j'ai eu), la neige le coupant du reste du monde. Êtes-vous d'accord si je dis que trente loups gris est une enquête sur un meurtre, des meurtres en chambre close.

J. S. V. : Vous avez raison ! Le village de La Louvière devient très vite une sorte de chambre close, c'est assez classique dans les polars.

En même temps ce village acquiert le statut de centre du monde, dans le sens où tous les conflits de la planète semblent s'y dérouler, avec leur lot de saloperies et de magouilles. Pensez-vous que créer ce soit résister en dénonçant ? Et faut-il chercher dans votre passé, que vous avez caractérisé de très engagé au niveau politique, l'explication de cet aspect de trente loups gris ?

J. S. V. : Je crois que j'avais envie de montrer concrètement ce qu'est la mondialisation. Tout se tient. Dans un lieu perdu du Massif Central, on a construit une grande installation nucléaire. C'est réaliste car ce genre de structure est effectivement située loin des villes. A cause de cette usine atomique, la politique mondiale (ici l'interminable conflit du moyen orient) s'introduit dans une campagne qu'on croirait hors du temps. Je ne cherche pas à écrire des romans engagés, j'essaie seulement de tendre des miroirs à notre époque. Je ne me sens plus un militant car aucune solution simple ne me parait réaliste. Mais il est probable qu'un sociologue sommeille en moi et puis, avec le temps, j’ai appris que les humains sont rarement simples. Noireau, le député de mon livre est à la fois un magouilleur assoiffé de pouvoir mais aussi un homme sincèrement attaché aux montagnes de son enfance. Il a pour son jeune chef de cabinet une affection qui dépasse ses intérêts politiques et qui lui sera fatale.

Vers le milieu de votre roman, je pensais lire un polar “ gauchiste bon ton ” qui dénonce un complot des forces du mal puis, subitement, l'histoire dévie et trouve sa conclusion dans le sordide des passions amoureuses. Pensez réellement que le hasard est le moteur le plus important de l'histoire des hommes ?

J. S. V. : J'ai dit plus haut que le polar s'intéresse au problème du Mal. Je ne crois pas qu'on puisse réduire le Mal à la cupidité économique (genre l'horrible multinationale) ou aux jeux de pouvoir politique (genre le député cynique et manipulateur). Tout ceci existe et je voulais le montrer. Mais les forces de destruction peuvent être beaucoup plus banales. La jalousie est une des plus grandes énergies destructrices qui existent. C'est à cause d'elle que (supprimé pour ceux qui n’ont pas lu !) tue la journaliste. Mais il y a encore d'autres hypothèses à sa folie criminelle, il a (supprimé) et on peut se souvenir que dans “ maladie ” il y a “ mal ”.

Je ne crois pas du tout au hasard. Je pense plutôt que les hommes et les femmes sont déterminés par des forces multiples (internes à leur psychisme ou plus externes comme la société ou l'histoire) et que les drames naissent de l'incapacité des humains à apprivoiser ou à contenir ces forces (parfois contradictoires). (Nom supprimé) ne tue pas Béatrice Barthe par hasard. Il l'assassine parce que c'est un antisémite viscéral qui découvre qu'il aime charnellement une israélienne et que celle-ci l'a manipulé. Juridiquement c’est un criminel mais c'est aussi une victime, de sa jalousie, de ses croyances hyper nationalistes et, indirectement, de la guerre israélo-palestinienne.

En 1983 vous publiez Un hiver de notre histoire puis pendant une vingtaine d’années vous ne publiez plus rien pourquoi ce long silence ?

J. S. V. : - mon fils est né en 1977, ma fille en 1980, à partir de 1984 j'ai créé IMCA (l'entreprise audiovisuelle dont j'ai parlé plus haut). Les enfants et les petites entreprises ça vous occupe...

.- en 1985, j'ai proposé un manuscrit aux Presses de la Renaissance qui avait édité "Un hiver..", ils ne l'ont pas publié sans que je comprenne les raisons de leur refus. Pendant 4 ou 5 ans je n'ai plus eu envie d'écrire.

- à partir de 1990, j'ai commencé un roman de science fiction historique. Il a intéressé Denoël. Mais malgré plusieurs réécritures, ils ne l'ont pas publié.

- très découragé par les éditeurs parisiens et constatant que je lisais beaucoup de polars, que j'aimais cette littérature, j'ai décidé d'écrire "Trente loups gris".

Trente loups gris est votre second roman. Avez-vous eu beaucoup de difficultés à trouver un éditeur pour ce polar ?

J. S. V. : Oui et Non . Oui car les principaux éditeurs parisiens de polar l'ont refusé. Non car il a plu tout de suite à l'Ecailler.

Comment caractériseriez-vous vos rapports avec L’Écailler du Sud

J. S. V. : Très sympathiques, j'espère que ça durera. A mon avis deux problèmes peuvent survenir : soit j'écris trop pour leur volume de publication, soit ils rencontrent des difficultés (créer une maison d'édition indépendante est une sacrée aventure !). Je veux dire aussi qu'ils sont réglos (relevé de droits adressé début février) et qu'ils essaient sans cesse d'améliorer leur organisation et leur diffusion. Mon rêve est que notre collaboration se poursuive, que j'écrive des livres qui marchent et contribuent à faire vivre ce projet éditorial décentralisé que je trouve intéressant.

Dernière question : Vous parlez beaucoup du Mal, mais comment le définir ?
J. S. V. : C'est ça le piège. Personnellement je crois qu'il existe des "forces mauvaises", le coté obscur de la force comme dit l'Odyssée de l'espace. Mais ces forces mauvaises savent se dissimuler, se travestir. La recherche du Bien n'est donc jamais absolue. Tout repose sur la capacité de discernement des êtres humains et c’est là que les difficultés commencent ! On peut commettre les plus grands crimes au nom du Bien. Pourtant, malgré tous les risques, vérifiés par l'histoire, que présente une vision dualiste (bien et mal), je crois quand même qu'on ne peut pas expliquer le monde et la vie par les seules catégories des sciences humaines et que le Mal existe vraiment en tant qu'entité.

Luis ALFREDO

 

Le résumé :

 

Le Massif Central, l'hiver, la neige, des meurtres et des loups, et une enquêtrice de la gendarmerie des plus têtues... Et quand Solo le loup et sa meute rêvent de retourner en Sibérie on en oublierait presque qu’une enquête est en cours dans laquelle ces animaux inquiétants et magnifiques ont peut-être un rôle à jouer. Peut-être...


Source : L'Ecailler du Sud

 

Notre note :